samedi 7 février 2015

LES VIOLONS DE MONSIEUR INGRES





Violon d'Ingres...

L'expression est passée depuis longtemps dans le langage courant et Baudouin Espachasse, dans Le Point du 26 février 2013 nous en dit un peu plus sur le fameux instrument et son propriétaire....


 
Le violon de Jean-Auguste-Dominique Ingres
 
 
"C'est l'histoire d'un modeste violon d'étude devenu, au fil des siècles, une véritable icône. Estimé à 50 francs au moment de la succession de Jean-Auguste-Dominique Ingres, décédé à Paris le 14 janvier 1867, l'instrument de l'artiste vaut aujourd'hui bien davantage. "Il est devenu un symbole", estime Anne Houssay, du laboratoire de recherche de la Cité de la musique, à Paris, qui a restauré l'instrument en 2005. Ce violon, conservé au musée que la ville de Montauban consacre à son "grand homme", n'a-t-il pas donné naissance à une expression qui a fait florès ?

Si l'on appelle aujourd'hui "violon d'Ingres" son hobby ou son passe-temps favori, c'est que l'auteur de La grande odalisque et du Bain turc entretenait une véritable passion pour la musique. "Si je pouvais vous rendre tous musiciens, vous y gagneriez comme peintres. Tout est harmonie dans la nature : un rien dérange la gamme et fait une note fausse. Il faut arriver à chanter juste avec le crayon ou le pinceau aussi bien qu'avec la voix ; la justesse des formes est comme la justesse des sons", estimait l'artiste mélomane.
Ingres maniait avec autant de talent l'archet que le pinceau. Née sous la plume de son gendre, le journaliste Émile Bergerat, la formule "violon d'Ingres" rend compte, à sa manière, de la vocation contrariée du peintre. Initié très jeune par son père, sculpteur et lui-même violoniste à ses heures, le futur portraitiste officiel de Napoléon était suffisamment doué pour se produire dans des concerts privés dès l'âge de 8 ou 9 ans. De nombreux témoignages attestent ainsi qu'il joua fréquemment devant la haute société montalbanaise. Dans son journal intime, Ingres confie d'ailleurs avoir hésité jusqu'à ses 11 ans entre la peinture et la musique. À 20 ans, on le retrouve deuxième violon au sein de l'Orchestre du Capitole. Ses cachets de musicien lui permettent alors de financer ses études artistiques à Toulouse.

Même s'il devait confier plus tard ne pas avoir "la dextérité ni l'habileté des vrais artistes", Ingres n'en appuyait pas moins sur la bonne note... "Il était très bon musicien. [...] Mais jamais il n'a eu la prétention de se poser en virtuose", devait préciser sa veuve, Delphine, dans une lettre au Figaro le 4 août 1885. Amateur de musique de chambre, il révérait Mozart, Gluck, Beethoven et Haydn. "Le fonds de sa bibliothèque compte d'ailleurs une cinquantaine de partitions de chacun de ces compositeurs", constate Jean-Marc Andrieu, chef d'orchestre des Passions, formation baroque montalbanaise qui jouera le 12 mai prochain quelques-uns des airs préférés du peintre à l'orangerie du château de Rochemontès à Seilh.
De l'origine de l'instrument lui-même, on ne sait, en revanche, pas grand-chose. Son étui noir, doublé d'un tissu feutré vert, ne porte aucune indication de provenance. "C'est ce que les musiciens appellent un Arlequin : un assemblage de morceaux hétéroclites. Le dos est du début du XVIIIe siècle. La table et le manche sont bien postérieurs", énonce le violoniste Flavio Losco, qui a eu la chance de le jouer lors d'un concert exceptionnel organisé en 2006. Consolidé à plusieurs reprises en raison de fractures diverses, l'instrument a, de toute évidence, bien vécu.

Était-ce pour autant l'unique violon du peintre disparu à 86 ans ? C'est peu probable. Plusieurs indices laissent entendre que l'instrument ne serait pas le seul que jouait l'artiste... "Vu son triste état, je peine à imaginer qu'une personnalité comme Ingres, qui pouvait s'offrir de beaux violons italiens, ait utilisé celui-ci", glisse Anne Houssay. La taille de ce violon la rend, par ailleurs, perplexe. "C'est un petit instrument, plutôt de ceux qu'utilisent les enfants", note-t-elle. Son dos ne dépasse pas les 346 mm. À l'en croire, ces dimensions accréditeraient l'idée qu'il s'agissait plutôt d'un violon d'étude utilisé par le peintre dans sa jeunesse. "Mais Ingres n'était pas grand. Il mesurait, adulte, moins de 1 m 60", nuance Jean-Marc Andrieu. Reste que le testament de l'artiste, rédigé dans les derniers jours de 1865, prévoit de ne donner à la ville de Montauban que l'"un de [s]es violons". Pour Florence Viguier-Dutheil, directrice du musée Ingres, cette mention prouve bien qu'un second instrument existe.
La conservatrice en est d'autant plus certaine qu'un courrier retrouvé dans les archives municipales ne laisse plus de place au doute. Il s'agit d'une lettre, datée du 10 juillet 1935, qui émane d'un antiquaire de Lille. Elle évoque, noir sur blanc, l'existence d'un deuxième violon ayant appartenu au peintre. Un instrument que l'antiquaire se proposait justement de vendre au directeur du musée ! Qu'est-il devenu ? "Il n'a, hélas, pas été acheté à cette époque par le musée, mais a dû l'être par quelqu'un d'autre plus tard. Il doit aujourd'hui encore se trouver dans une collection privée en France ou à l'étranger", imagine la conservatrice. "Le jour où il ressortira sur le marché, il permettra de comprendre plus finement le rapport d'Ingres à la musique et la place du violon de Montauban", conclut-elle.


 
Jean Auguste Dominique Ingres-1959 autoportrait
 
 
 
 






 

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